Le mot a fait son entrée dans le monde médiatique depuis quelques années : l’écoanxiété serait un des grands maux du 21e siècle et particulièrement de la jeunesse. Les appels de plus en plus pressants à entreprendre un virage écologique majeur ont eu comme effet collatéral d’inspirer une crainte de l’avenir chez plusieurs. Intéressé à connaître sa prévalence dans la population étudiante collégiale, le Comité de travail des affaires sociopolitiques (CTASP) de la FECQ présente un court état des lieux et des solutions à cette problématique telle qu’elle est vécue dans les cégeps. À travers ce texte, le Comité présente aussi les réponses reçues lors d’entrevues auprès de personnes étudiantes écoanxieuses au sujet de leur expérience personnelle sous forme de citations.
« L’humanité marche sur une fine couche de glace et cette glace fond vite[1]. » Ces mots sont ceux du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, lors de la publication du dernier rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les paroles sont dures, elles mettent une image sur une réalité qui affecte tout un chacun, mais qui ne surprend personne. Nous en sommes au sixième cri d’alarme des scientifiques du climat rassemblés par l’ONU à cette fin. À chaque fois, les médias présentent les grandes lignes de leur travail, mettant en évidence la panique qui anime les expert.e.s. À chaque fois, les élu.e.s du monde entier promettent des actions concrètes pour limiter les impacts des changements climatiques. À chaque fois, les attentes sont déçues. Pourtant, le diagnostic est clair: le GIEC reconnaît des impacts négatifs déjà en cours sur une panoplie d’aspects de la vie terrestre, tant pour les humains que pour l’ensemble des écosystèmes. Entre autres, il annonce une aggravation de la malnutrition, de la rareté de l’eau, de la possibilité d’une épidémie et même des problématiques de santé mentale de la population[2]. Devant de tels constats, la réponse que nous avons ne peut être de continuer à produire et à consommer de manière à émettre des gaz à effet de serre, quand nous savons que ceux-ci sont déjà nocifs pour l’humanité au moment d’écrire ces lignes. Déjà fort de sa capacité hydroélectrique, le Québec a le potentiel de réduire son impact sur les changements climatiques en misant sur cette dernière plutôt que sur les combustibles fossiles pour ses besoins en énergie. En effectuant un virage sérieux dans les domaines du transport, de l’industrie et de l’agriculture[3], évoluer vers un futur décarboné est envisageable. Il faudra toutefois de la volonté de la part des législateurs pour provoquer les changements nécessaires dans la société, alors que le bon vouloir individuel ne suffira sans doute pas à renverser la tendance. « Peu importe la promesse prononcée, celles concernant l’environnement sont souvent mises de côté, pour qu’elles finissent par se faire abandonner. Comme ce n’est pas la première fois qu’une situation du genre arrive, c’est pourquoi il est important de les rappeler et de les talonner afin qu’ils les réalisent, leurs promesses. Si ce n’est pas le cas et qu’elles sont abandonnées à nouveau, c’est l’avenir du Québec qui est en jeu […] » L’écoanxiété, endémique chez les jeunes « L'écoanxiété est définie comme un sentiment de détresse face au dérèglement des écosystèmes.[4]» Malgré sa présence médiatique nouvelle et timide, l’écoanxiété affecte 73% des Québécois de 18 à 34 ans[5]. Cette tranche d’âge compose la génération Z, génération dans laquelle se situe une fracassante majorité des étudiant.e.s du collégial. C’est donc presque les trois quarts des jeunes, trois quarts des cégépien.ne.s qui vivent de l’anxiété, tous les jours, face à l’avenir de la Terre. Selon une étude menée par l’Université́ de Sherbrooke en octobre 2021, plus les gouvernements tardent à agir sur les menaçants changements climatiques, plus les impacts psychosociaux néfastes sont grands[6]. Il va donc de soi que, pour la santé et le bien-être de la population étudiante collégiale du Québec, ainsi que celle du reste de la province, le gouvernement se doit d’agir. En outre, un sondage mené par la firme Léger entre septembre et octobre 2022, 44% de personnes faisant partie de la génération Z ne veulent pas d’enfants en raison de la menace écologique qui, selon eux, n’est pas près de diminuer[7]. En d’autres termes, la moitié de la génération Z, génération qui constitue une grande partie des cégépien.ne.s, ressent une certaine peur quant à l’avenir plus qu’incertain de notre planète, peur qui les pousse à douter l’idée de fonder une famille dans le futur. Or, on comprend alors que l’écoanxiété est un problème d’actualité sur lequel il est nécessaire d’agir pour ainsi préserver les jeunes, les étudiants collégiaux de la province. « Je crains de forcer mes enfants à vivre dans un monde pollué, dangereux et avec une date d’expiration. » Finalement, ces données prouvent la gravité de l’écoanxiété au Québec. Par le fait même, ces statistiques mènent à un questionnement : l’écoanxiété vécue par les collégien.ne.s est-elle suffisante pour pousser les gouvernements à agir davantage pour contrer la menace écologique? Agir contre l’écoanxiété : solutions personnelles et rôle des cégeps Maintenant que le constat est posé, il faut désormais passer à l’action, non seulement par des gestes qui visent à lutter contre les changements climatiques, mais par d’autres moyens pour aider à réduire ce problème grandissant qu’est l’écoanxiété. Heureusement, leurs solutions sont bien souvent liées par leur nature, ce qui, pour ainsi dire, facilitera la tâche. Une explication s’impose. Les témoignages recueillis par le CTASP nous l’ont montré, plusieurs facteurs entrent en cause lorsque quelqu’un souffre d’écoanxiété. Ainsi, chacun la vit différemment, et les moyens de la diminuer varient tout autant. Fréquemment, ce type d’anxiété peut se caractériser par du surmenage : la personne en fait beaucoup, parfois jusqu’à l’épuisement, pour réduire son empreinte environnementale, mais ressent une grande impuissance face aux nouvelles pessimistes qui ne font que se cumuler, et au reste de la société qui n’agit pas à la vitesse nécessaire. Il peut en résulter une anxiété face à la lenteur des grands joueurs mondiaux, et une anxiété, plus personnelle, à vouloir toujours faire plus, ce qui peut devenir extrêmement demandant. Sur cet exemple plutôt précis, mais assez commun, il est possible d’identifier des actions qui peuvent diminuer efficacement cette écoanxiété. L’article de Radio-Canada Accepter et apprivoiser son écoanxiété[8], publié le 19 décembre 2022, cite deux expertes qui font ressortir plusieurs éléments pouvant aider à maîtriser cette anxiété. Évidemment, poser des gestes visant à baisser son empreinte environnementale aide à se sentir en accord avec ses valeurs, mais il faut éviter de viser la perfection dans toutes les actions du quotidien, car vouloir toujours en faire plus ajoute une charge mentale très lourde, et peut mener, comme le montre l’exemple précédent, à accentuer l’anxiété vécue. Une baisse du temps d’écran, et donc de l’exposition aux nouvelles majoritairement pessimistes, ressort aussi comme une solution efficace, car l’accumulation régulière alimente le sentiment de peur et d’anxiété face à la situation actuelle. Bien sûr, cette réduction ne vise pas à rendre une personne souffrant d’écoanxiété totalement inconsciente des problèmes environnementaux actuels, mais plutôt à maîtriser leurs effets sur sa santé mentale. Autre solution amenée, la participation à des activités collectives, qui peut permettre de canaliser ses énergies dans des actions qui ont une portée plus grande que soi, en plus d’offrir un lieu d’échange avec des gens qui sont propices à vivre le même type d’anxiété. Après avoir pris acte des solutions qui s’offrent à nous à un niveau personnel, une question se pose : quel est le rôle des cégeps dans la lutte à l’écoanxiété? Comment peuvent-ils mettre en place des mesures qui assurent une diminution de cette problématique chez leur population étudiante, une des populations les plus susceptibles d’en subir ? Tout d’abord, tout geste posé par un cégep pour améliorer son bilan écologique est un pas dans la bonne voie. Les mesures prises par des joueurs importants ont un impact beaucoup plus significatif pour l’environnement que celles prises par un seul individu. Ainsi, si un cégep, établissement fréquenté par des centaines, voire des milliers de personnes, pose des gestes significatifs, cela peut avoir des répercussions positives sur une personne vivant de l’écoanxiété, voyant enfin des actions qui pourront avoir un effet considérable. Ainsi, des mesures qui peuvent concerner la totalité de la communauté seraient à prioriser. On peut penser à faciliter l’accès aux transports actifs, où un cégep peut agir de plusieurs façons : passe de transport collectif à prix réduit, lien facilité avec les pistes cyclables, places de stationnement réservées aux services d’autopartage, etc. De la même manière, un cégep produisant beaucoup de déchets, une saine gestion de ceux-ci, en offrant à sa population du recyclage et du compost, peut avoir un impact significatif sur l’anxiété de plusieurs. Autre champ d’action des cégeps pour contrer l’écoanxiété : favoriser la création de comités, clubs et autres activités collectives en lien avec l’environnement. Comme dit plus haut, l’action collective est une des meilleures solutions pour mieux maîtriser ce problème, car elles permettent de parler de ses inquiétudes à des gens qui, dans ce contexte, sont propices à les vivre aussi. Comprendre que l’on n’est pas seul à vivre cette anxiété peut nous rassurer et l’atténuer. De plus, ce sont des lieux qui permettent d’agir à plus grande échelle, avec des gestes ayant plus de répercussions que ceux que l’on peut effectuer chez soi. Si les cégeps veulent réellement participer à la lutte à l’écoanxiété, ils ont plusieurs moyens d’aider à ce que ce genre de groupes soient créés : financer des comités dans son établissement, faciliter leur possibilité d’agir en assouplissant les règlements les encadrant, fournir de l’aide aux associations pour les inciter à créer leurs propres comités. Ce n’est qu’une liste succincte, mais cela donne une idée de tout ce qu’un cégep a comme possibilités pour agir. « Nous n’avons pas le choix de réparer leurs erreurs, qu’on le veuille ou non. C’est un peu injuste de devoir s’en occuper, mais si chaque personne se basait sur le fait que “ce n’est pas leur faute”, personne ne ferait d’action pour aider la planète et ils se trouveraient à être autant responsables de la détérioration de la planète que les anciennes générations. » [1] Alexandre SHIELDS, « Le rapport du GIEC, “un guide de survie pour l’humanité” », Le Devoir, [En ligne], 20 mars 2023, https://www.ledevoir.com/environnement/786058/environnement-le-rapport-du-giec-un-guide-de-survie-pour-l-humanite. [2] ONU, GROUPE D’EXPERTS INTERGOUVERNEMENTAL SUR L’ÉVOLUTION DU CLIMAT. Synthesis report of the IPCC sixth assessment report (AR6) : Summary for policymakers, Genève, 2023, p. 7. [3] QUÉBEC, MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT, DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, DE LA FAUNE ET DES PARCS. Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2023 et évolution depuis 1990, Québec, Gouvernement du Québec, 2022, p. 22. [4] MOUVEMENT SANTÉ MENTALE QUÉBEC, « Les trois-quarts des personnes âgées entre 19 et 35 ans vivent de l’écoanxiété : Passons en mode solution », [Communiqué en ligne], (27 avril 2022), https://www.newswire.ca/fr/news-releases/les-trois-quarts-des-personnes-agees-entre-18-a-35-ans-vivent-de-l-ecoanxiete-passons-en-mode-solution-821750642.html. [5] LA PRESSE CANADIENNE, « Les jeunes Québécois sont les moins optimistes par rapport à la crise climatique », Radio-Canada, [En ligne], 7 janvier 2023, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1946669/quebec-lutte-rechauffement-climatique-sondage. [6] « Il faut agir au plus vite sur les changements climatiques », Université de Sherbrooke, [En ligne], 4 novembre 2021, https://www.usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/environnement/details/46291. [7] LA PRESSE CANADIENNE, op. cit. [8] Denis WONG, « Accepter et apprivoiser son écoanxiété », Radio-Canada, [En ligne], 19 décembre 2022, https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/5018/ecoanxiete-psychologie-environnement-changements-climatiques.
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