Par Rafaël Leblanc-Pageau, responsable aux comités à l'ageeclpTu entres dans la salle d’examen avec les membres qui s’agitent. Tu as la bouche sèche. Tu n’as pas bien dormi, appréhendant ce moment fatidique. Tu réponds aux questions de l’examen au meilleur de tes connaissances, mais le stress te fait oublier bien des éléments importants. Tu as bien étudié, mais, ironie du sort, tu sais très bien que tu auras tout oublié après l’examen.
Plusieurs connaissent la théorie du mammouth qui vise à expliquer les causes du stress. Selon celle-ci, les humains préhistoriques, lorsqu’ils voyaient un mammouth, source évidente de danger, avaient deux options : combattre ou fuir. Dans les deux cas, les hommes avaient besoin de capacités physiques extraordinaires. L’adrénaline, hormone du stress, permettait alors de déclencher les mécanismes nécessaires à stimuler les humains et leur permettre de survivre. La gorge qui s’assèche, les poils qui se dressent sur le corps, une grande énergie soudaine, tous ces phénomènes sont causés en réponse à la source de stress. J’ai beau chercher, je ne vois pas de mammouths dans les écoles. Le stress est partout, me direz-vous. Il se déclenche lors d’une entrevue d’embauche, lors d’un examen quelconque, bref, lors d’une épreuve, lorsque l’on sent un danger. Même si peu de mammouths nous posent problème aujourd’hui, notre corps réagit de la même manière que lors de leur présence. Ces réactions demeurent normales. Dans les sports, par exemple, le stress permet d’atteindre un niveau supérieur à la normale pendant un certain temps. Toutefois, lorsque vient le temps de réussir un examen, le stress aide rarement. Pourquoi imposons-nous tout ce stress aux étudiants? Est-ce écrit dans les tables de lois? Qui a décidé qu’évaluer un étudiant était obligatoirement stressant? Charlemagne? « Vous avez deux heures pour réussir l’examen. Cela se fait de manière individuelle. Vous devez passer pour obtenir votre DEC. Vous n’avez pas le droit aux notes de cours, ni à quelconque forme de technologie, ni au voisin, ni de pleurer. Il en va de votre avenir. Repos, soldat. » Les directions scolaires font des pieds et des mains pour « instaurer un climat de réussite ». Laissez-moi rire. Ce climat de réussite est loin derrière celui anxiogène, toxique, effrayant devant lequel les étudiants sont placés en situation d’évaluations. Toute ma vie, je me rappellerai que plusieurs de mes enseignants au secondaire et au cégep expliquaient aux élèves, dès le premier cours, ce sur quoi allait porter l’examen de fin d’année. À cette annonce de l’enseignant se succédera de manière hebdomadaire cette question de la part des étudiants vis-à-vis n’importe lequel des travaux pratiques : « ça compte-tu? » Comment prendre plaisir à l’apprentissage et au savoir lorsque déjà, on nous l’illustre comme une source de pression et de stress? Dès lors, l’enseignement est corrompu par l’obligation d’évaluer d’une seule manière : par un examen magistral, individuel, ennuyeux et surtout, stressant. Bien sûr, il y a cette idée selon laquelle les étudiants doivent travailler fort et être résistants au stress. Seulement, même en acceptant cette triste fatalité, il se trouve que l’évaluation sera alors atteinte d’une source de biais : le stress vécu par l’étudiant évalué. Comme l’étudiant est stressé par la peur de l’échec, ses capacités seront modifiées. Ainsi, le résultat de l’évaluation ne sera pas représentatif de la réalité. Il est évidemment faux d’affirmer que la seule manière d’évaluer un étudiant est en lui demandant de répondre à des questions sur une feuille. Dans les milieux de travail, cette façon de faire est absurde. Pour évaluer les employés, on ne leur fait pas répondre à un quiz, on les observe à l’œuvre. Ainsi, l’évaluation représente la réalité et est beaucoup moins stressante. Pourquoi ne pas faire la même chose à l’école? C’est ce qu’on nomme l’évaluation formative et c’est une des méthodes d’évaluation alternatives proposées. Elle consiste en l’observation de l’étudiant en situation d’apprentissage pour constater ce qu’il doit travailler et ce sur quoi ses compétences sont satisfaisantes. Rappelons-nous du principal objectif de l’évaluation : juger ce que l’étudiant n’a pas acquis et le retravailler avec lui. C’est simple, mais bien loin de ce qu’on fait en classe. J’appelle à un changement drastique des méthodes d’évaluation. Ce statu quo selon lequel il n’y a qu’une manière d’évaluer un étudiant est périmée et absurde. Diminuons le stress des étudiants de tout niveau et de tout âge à la source. À une époque où on tente par tous les moyens de redonner ses lettres de noblesse à l’éducation, il me semble que donner envie aux jeunes d’apprendre passe par le retrait des sources de stress superflu. Ce ne sera que positif : les étudiants iront à l’école non plus pour « passer », mais pour la meilleure raison qui soit : apprendre. Sources : LUPIEN, Sonia. Par amour du stress, Boisbriand, Éditions au carré, 2010, 274 pages. MERLE, Pierre. « Faut-il en finir avec les notes ? », La Vie des idées, (2 décembre 2014). https://laviedesidees.fr/Faut-il-en-finir-avec-les-notes.html
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